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12 mai 2023 5 12 /05 /mai /2023 10:24

Résumé de cet article

Je "fête" le dixième anniversaire de ma "suspension"  en m'appuyant sur une description minutieuse du Dr Bécheur ("Colère blanche à l’hôpital" Michalon 2012) de certains processus de maltraitance au sein de l'hôpital public exercée sur un praticien-cible par la direction associée à des confrères du praticien-cible pour des motifs très éloignés du service rendu aux patients, bien que cette maltraitance soit toujours exercée au nom de ce service-rendu. Si le processus est difficile à surmonter du point de vue de l'ego, il faut dire qu'on a atteint dix ans plus tard un processus de maltraitance d'une bien plus grande envergure: la fermeture administrative impromptue temporaire ou non de services entiers, pour des motifs administratifs qui trouveraient leurs solutions si les soignants avaient la liberté de régler eux-mêmes leurs problèmes, ce qu'ils n'ont plus depuis 25 ans. C'est alors l'ensemble de l'activité ciblée qui est suspendue, l'ensemble des soignants concernés médecins et non médecins qui sont empêchés d'exercer. Il y a rupture délibérée de la continuité territoriale des soins, c'est très grave, les patients subissent et (presque) tout le monde se tait.

 

http://chocs9cube.over-blog.com/article-un-an-deja-le-30-mai-2013-le-dr-frederique-pfeiffer-etait-suspendue-de-ses-fonctions-de-gynecologue-123772091.html

 

 

 

       Le Dr Hakim Bécheur publiait en 2012 un livre intitulé "Colère blanche à l’hôpital" (Michalon), qui dénonçait la dérive du new public management appliqué autoritairement par l'administration à l’hôpital public depuis le début des années 2000. Je lisais alors sans y prendre vraiment garde un chapitre intitulé "Règlements de compte en salle d’op". Subissant à mon tour un "déni de justice" sous la forme d’une suspension d’exercice arbitraire en mai 2013, je me rends compte 10 ans plus tard en relisant cet ouvrage que le Dr Bécheur a décrit de façon parfaitement claire et précise une histoire assez similaire à la mienne et probablement vécue par de très nombreux collègues (pas de statistique sur le sujet des suspensions abusives!) Je me propose de la retranscrire en résumé ci-dessous en italique, persuadée qu’il n’en prendra pas ombrage : son "cas d’école" est tellement didactique qu’il gagne à être diffusé le plus largement possible me semble-t-il.


      "Le Docteur Pierre, chirurgien viscéral d’une cinquantaine d’années, était arrivé un an plus tôt auréolé d’une bonne réputation même s’il avait eu un parcours un peu heurté, qui l’avait conduit du CHU à une clinique privé puis à notre hôpital. Il avait été recruté par la précédente directrice, avec pour objectif principal de redresser une situation délicate (...) Le Dr Pierre accepta la mission, flatté par une telle confiance en ses capacités. Celles-ci étaient réelles ne serait-ce qu’au regard de son expérience et de son expertise reconnue. Mais sans doute grisé par tant d’honneurs, il avait sous estimé l’ampleur des inimités que son recrutement imposé allait susciter : les deux autres chirurgiens présents dans le service n’avaient pas été associés au choix de leur futur collègue (...) De plus il avait été nommé chef de service en remplacement de l’un d’entre eux, dessaisi sans ménagement de cette fonction. (Depuis 2009 ce sont les directions hospitalières qui organisent la plupart des recrutements médicaux et nomment ou révoquent les médecins chefs, et non plus les médecins chefs de service qui cooptent un ancien interne ou assistant) On peut comprendre qu’il eût fallu beaucoup de diplomatie pour faire passer la pilule, or il en manquait, malgré ses nombreuses qualités (...) Néanmoins le service qui vivotait depuis de nombreuses années donnait l’impression de ressusciter et pour les chirurgiens présents le renfort du Dr Pierre était tout compte fait appréciable. Ils firent donc contre mauvaise fortune bon cœur, même si la blessure narcissique infligée avait été plus profonde qu’il n’y paraissait (...) En revanche l’équipe d’anesthésie appréciait peu l’évolution des choses. Composée essentiellement de médecins à temps partiel qui partageaient leur temps entre l’hôpital et la clinique, elle ne s’illustrait pas par des relations sereines avec les chirurgiens."


      Il existe souvent depuis les années 1980 un conflit larvé entre ces deux catégories de spécialistes: les anesthésistes reprochant aux chirurgiens de les considérer comme leurs subordonnés, les chirurgiens de leur côté n’hésitant pas à les railler en les traitant de "gaziers" tout juste bon à endormir "leurs" malades. Les mœurs ont changé et surtout la pénurie d’anesthésistes est devenue telle que nul ne se hasarde plus à les «malmener», ce dont ils ont bien pris conscience. «Décidés à se faire respecter, ce qui est bien légitime, un certain nombre d’entre eux a abusé de la situation. Tant qu’il est question de gagner sa vie conjointement avec les chirurgiens du fait du paiement à l’acte dans les cliniques privées, les intérêts convergents des uns et des autres parviennent en général à pacifier leurs rapports. Mais à l’hôpital public la situation est différente : ce sont beaucoup plus des enjeux de pouvoir qui prévalent.

      Au sein de notre hôpital, les anesthésistes se savaient rares et incontournables (...) devenus les maîtres du bloc opératoire (pouvoir partagé avec le «cadre infirmier de bloc»: quel malade de quel chirurgien opère-t-on à quelle heure dans quelle salle d’opération....) voire de l’hôpital, ils entendaient le montrer, et gare aux récalcitrants! De leur point de vue, le Dr Pierre en faisait partie. Ils le prirent très vite en grippe : sa "morgue" de chirurgien "à l’ancienne", sa propension à montrer leurs dysfonctionnements, sa volonté affichée de les soumettre à son rythme n’était "pas acceptables" : ils se persuadèrent que ce nouveau venu représentait une «menace». (Ne pouvant pas avouer officiellement qu’il s’agit d’une menace à l’encontre de leur routine, il est habituel de déclarer dans ce milieu professionnel qu’il s’agit d’une menace envers la «sécurité des patients ») Ils décidèrent que le Dr Pierre était un chirurgien «dangereux» susceptible de «nuire à la sécurité des patients». (...) Pendant de longs mois, ils notèrent scrupuleusement les moindres faits et gestes qui pourraient instruire le procès à charge contre lui (...) jusqu’au jour où estimant le «dossier» suffisamment fourni, ils jugèrent opportun d’en informer en catimini le président de la CME. (...)

      Les parties en présence furent convoquées pour s’expliquer. La réunion qui se voulait conciliante eut lieu en présence de la chef de service d’anesthésie (leader du conflit), du Dr Pierre, du Dr Martin responsable du pôle Anesthésie-Réanimation-Urgences, du président de CME, et de moi-même (Dr Bécheur) en qualité de responsable du pôle Digestif dont dépendait le service de chirurgie viscérale. (...) (Il y a habituellement depuis 2009 un représentant de la direction dans ce genre de réunion, la «directrice Qualité» voire le directeur lui-même) Je pensais sincèrement que le conflit allait se résoudre (...) Non seulement rien ne s’arrangea mais les propos échangés furent d’une telle violence que je compris alors la gravité de la situation. Les anesthésistes avaient décidé de se débarrasser du Dr Pierre et rien ni personne ne les en dissuaderaient. Dans «l’intérêt des malades» ils refusaient dorénavant d’endormir ses patients. (...) Il me semblait indispensable que des preuves tangibles fussent produites (...) Je défendis l’option de désigner une commission d’enquête indépendante (...) d’autant que les anesthésistes évoquaient le cas d’un jeune patient décédé 10 jours plus tôt après une opération effectuée par le Dr Pierre. Le dossier avait fait l’objet d’une expertise judiciaire qui avait conclu formellement que le chirurgien avait agi de façon conforme. Bien que ce décès fût choquant pour toute l’équipe, je ne comprenais pas que cette douloureuse affaire soit utilisée contre le chirurgien. (C’est pourtant la manière habituelle dans ce milieu pour mettre en cause un collègue : on est amené à gérer d’innombrables dossiers et donc nécessairement à rencontrer des difficultés et subir des (rares) échecs : ceux-ci sont alors mis en avant pour attester de la «dangerosité» du collègue en question. Comment continuer à travailler dans une telle atmosphère de suspicion alors que les prises de risque sont quotidiennes : c’est tout simplement impossible, a fortiori pour un chirurgien dont "on ne veut plus endormir les patients"). (...) De fait le chirurgien ne pouvait plus opérer (...) Il engagea une procédure judiciaire à l’encontre de l’hôpital et de la chef de service d’anesthésie. (...) Une enquête administrative fut enclenchée dont la mission véritable visait à établir "l’insuffisance professionnelle" du chirurgien.(...) Je compris que le véritable objet était d’abréger les souffrances le la chirurgie publique moribonde pour laisser la voie libre à la clinique voisine (...) La tutelle avait fait son choix : tant pis pour l’hôpital et pour le Dr Pierre, victimes expiatoires d’un enjeu stratégique qui les dépassait. La conclusion du rapport administratif tomba tel un couperet. Le chirurgien devait être suspendu jusqu’à nouvel ordre. Malgré les protestations véhémentes de la communauté médicale et un vote en CME contre cette décision, le directeur s’y conforma immédiatement arguant qu’il était de son devoir de protéger les malades contre les risques qu’un conflit de cette nature pourrait leur faire courir. (...) Le chirurgien fut réaffecté à des tâches administratives sur un autre site (...) Plus de deux ans après le tribunal administratif condamna l’établissement intercommunal à des dommages et intérêts et à la réintégration du chirurgien dans son établissement d’origine (...) De procédure en procédure le Dr Pierre n’a plus jamais opéré (...) Fier d’avoir tenu bon face à la déferlante qui a réussi à broyer le chirurgien sans altérer la pugnacité de l’homme, Pierre est devenu un expert juridique hors pair, à défaut d’exercer son métier."


      Une banale mésentente entre professionnels censée se résoudre grâce au code de déontologie et à la confraternité indispensable à l’exercice du métier, est instrumentalisée par la direction et aboutit de facto à la fin de la carrière de la personne mise en cause. Dans ce « cas d’école », le médecin a "choisi" d’une part de continuer à vivre, et d’autre part de rester dans le système public et renoncer à son activité opératoire. Pour pouvoir continuer à opérer il aurait dû démissionner pour repartir vers une installation libérale plus que périlleuse et éprouvante pour une personne de plus de 50 ans probablement praticien hospitalier de haut échelon. En effet une mutation dans un autre établissement public est en général impossible avec une telle «aura» de «dangerosité» ou «d’incompétence» véhiculée entre établissements. Par ailleurs cet exemple démontre l’absence totale de pouvoir réel des médecins dénommés «chefs» à l’hôpital public. Qu’il s’agisse de «chef de service» ou de «chef de pôle» voire de «président de CME», il existe depuis 2009 une complète subordination des médecins vis-à-vis des directions hospitalières. La CME (commission médicale d’établissement) est devenue en 2009 une simple chambre d’enregistrement des décisions de la direction quels que soient les votes qui y sont organisés. Il n’existe absolument aucun contre pouvoir. L’activité syndicale est quasi inexistante ou corrompue. Les collègues s’entre-déchirent ou rasent les murs. Le statut de praticien hospitalier titulaire ne garantit plus au médecin de pouvoir exercer son métier. Les ordres professionnels (conseil départemental de l’ordre des médecins ici) sont priés de ne pas se mêler des affaires des hospitaliers. Les tutelles administratives (ARS, CNG, Ministère) soutiennent les directions hospitalières. Parmi tout ce fatras d’intervenants potentiels, le praticien mis en cause se retrouve seul.


      Dans mon cas personnel, en poste depuis 17 ans dans l’établissement, praticienne temps plein treizième échelon appréciée des patientes, la suspension administrative médicalement injustifiée, fomentée par les cadres sages-femmes à la demande de la direction pour sanctionner mon activité associative et politique et m’écarter de l’établissement, a été suivie 10 jours plus tard d’une «levée de suspension», les «troubles suscités par votre comportement délétère ayant cessé». J’avais ordre de réintégrer mon poste immédiatement sous la menace d’une nouvelle suspension en cas de "récidive". Dans l’impossibilité de pratiquer dans ce contexte le métier à très haut risque de chirurgien-gynécologue-obstétricien et protégée par un arrêt maladie pour burnout qui a duré 7 mois au total, j’ai tenté désespérément de faire reconnaître la maltraitance institutionnelle à mon encontre et la faire cesser. Mes appels étant restés sans réponse, j’ai alors demandé la "mise en disponibilité" et me suis tournée vers l’intérim hospitalier très demandeur dans ma discipline ce qui m’a permis de vivre pendant les 2 ans qui me furent nécessaires à obtenir une réintégration dans un poste hospitalier à temps partiel en région Centre.


      Comme on l’entend souvent : il est grand temps de renforcer "l’attractivité hospitalière" !

Voire même, éventuellement, de véritablement "remettre les patients au cœur du système de santé"!!!


 

 

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